Carences de l’ANTS : un recours au juge administratif ?
L’agence nationale des titres sécurisés (ANTS) a pour mission de concevoir, de gérer et d’éditer les titres sécurisés émis par l’État : carte nationale d’identité, passeport, permis de conduire et certificat d’immatriculation des véhicules.
À la suite de la mise en place en juin 2015 du Plan Préfectures Nouvelle Générations (PPNG) ayant pour objectif de dématérialiser la délivrance des titres réglementaires et de rendre, ainsi, aux usagers un service de meilleure qualité, de nombreuses anomalies ont affecté les utilisateurs de la plateforme de l’ANTS.
Bien que la dématérialisation des démarches administratives puisse être considérée comme un facteur d’amélioration de la qualité du service et de sa disponibilité, les dysfonctionnements des services en ligne de l’ANTS, illustrent parfaitement les risques et dérives de cette transformation numérique.
Concrètement, ces anomalies se matérialisent par :
- des problèmes d’accessibilité aux services en ligne de l’ANTS,
- des délais excessifs de traitement et de délivrance des demandes de titres de circulation,
- des difficultés pour joindre les services de l’ANTS,
- des difficultés dans l’échange de permis de conduire étrangers et de permis de conduire internationaux,
- l’absence de prise en compte des besoins spécifiques de certains publics vulnérables (personnes en situation de handicap et détenus).
« Le stock de dossiers à traiter en CERT avoisine les 200 000 »
Dans une décision en date du 3 septembre 2018[1], le défenseur des droits indiquait qu’en février 2018, un stock de 240 000 dossiers était annoncé par le ministère de l’intérieur tandis que la presse évoquait en mai 2018, un stock de 450 000 dossiers en attente.
La note du secrétaire général du ministère de l’intérieur du
20 juin 2018 adressée aux préfets de département indiquait quant à elle que « le stock de dossiers à traiter en CERT avoisine les 200 000, et baisse régulièrement depuis 2 mois » et précise qu’« il subsiste dans ce stock un nombre conséquent de dossiers anciens qui n’ont pu être traités pendant plusieurs mois du fait de dysfonctionnements initiaux de l’application ».
Néanmoins, il semblerait que les difficultés persistent…
Le référé « mesures utiles » pour enjoindre à l’ANTS de délivrer le titre sécurisé
Afin de mettre fin aux entraves empêchant les automobilistes de conduire ou d’utiliser leur véhicule pendant une période prolongée, certains usagers ont introduit des procédures d’urgence en référé « mesures utiles » auprès des juridictions administratives compétentes.
L’intérêt de cette procédure est d’enjoindre à l’ANTS de délivrer leur permis de conduire ou leur certificat d’immatriculation sous astreinte.
La recevabilité de cette requête est subordonnée au cumul de plusieurs conditions : l’urgence, l’absence de contestation sérieuse et l’utilité de la mesure demandée.
Lorsqu’un administré rencontre une difficulté avec l’ANTS, ces conditions sont bien souvent automatiquement remplies. juge des référés constate en effet que la demande formée par un conducteur aux fins de recevoir un titre auquel il a droit, est nécessairement urgente et utile, dès lors que conduire sans permis est une infraction pénale.
A titre d’illustration, dans une décision rendue par le tribunal administratif de Grenoble[2], la juridiction a enjoint à l’ANTS de délivrer, sous astreinte, le permis de conduire d’un candidat ayant réussi l’examen du permis. Ce dernier n’avait pas obtenu la fabrication dudit titre malgré de multiples démarches de sa part :
« qu’il résulte de l’instruction que M. XX a réussi les examens du permis de conduire le 22 septembre 2017 et a demandé à l’ANTS la confection de son permis le 14 octobre 2017 ; que malgré de multiples démarches de sa part, il n’a pas obtenu la fabrication de ce document ; que l’attestation de réussite au permis de conduire n’est valable que pour une durée de quatre mois ; que dès lors sa demande présente un caractère utile, afin qu’il puisse se prévaloir effectivement du permis qu’il a obtenu ; que l’ANTS n’a fourni aucune explication sur sa carence à émettre le permis de conduire du requérant ; qu’il y a lieu, par suite, d’enjoindre à l’agence nationale des titres sécurisés de délivrer le permis de conduire de M. XX dans un délai de dix jours ».
Une injonction de faire accompagnée d’une astreinte
Cette injonction du juge des référés est bien souvent accompagnée d’une astreinte.
L’astreinte est l’obligation de payer une certaine somme pour chaque jour de retard dans l’exécution d’une obligation de faire ou dans l’exécution d’un contrat.
Le montant de l’astreinte est fixé généralement par jour de retard.
Par exemple, dans une décision en date du 7 mai 2019[3] où le Tribunal administratif a prononcé à l’encontre de l’ANTS une injonction sous astreinte de délivrer à un ressortissant tunisien son permis de conduire français.
Ce dernier avait demandé l’échange de son permis étranger contre un titre de conduite français. Le Centre d’échange des permis de conduire de Nantes (CERT) l’avait informé que sa demande avait fait l’objet d’une réponse favorable et que la production de son permis de conduire français avait été́ demandée à l’ANTS.
Après plusieurs mois sans nouvelle de son permis de conduire malgré de multiples relances, l’automobiliste a eu la mauvaise surprise de recevoir le courriel suivant de la part de l’ANTS : « la mise en production de son permis n’avait pu aboutir en raison d’un problème technique ou qu’il ne s’était pas présenté pour retirer le pli contenant son permis ».
Le Juge des référés du Tribunal administratif de Paris saisit en urgence a enjoint à l’ANTS de délivrer au requérant son permis de conduire dans un délai de huit jours à compter de la notification de l’ordonnance et ce sous astreinte de 50 euros par jour de retard.
La sanction de l’erreur de l’administration
Dans une autre affaire en date du 29 mars 2019[4], le Tribunal administratif de Paris a rappelé que l’Administration était tenue de réparer son erreur et ne pouvait exiger que l’administré introduise une nouvelle demande pour pallier cette erreur.
Un automobiliste avait obtenu le permis moto (permis A). Sans réponse depuis plusieurs mois, l’automobiliste décidait de contacter la Préfecture. Après s’être adressé à plusieurs services administratifs non compétents, la Préfecture finissait par le rediriger auprès de l’ANTS. Une année et demie plus tard, l’administré recevait un permis erroné car ce dernier ne mentionnait pas la mention du permis A (moto).
Après plusieurs réclamations auprès de la Préfecture et malgré l’absence de réponse, le conducteur avait fini par saisir le Tribunal administratif par voie de référé dit « mesures utiles » afin que cette erreur soit réparée.
Dans son ordonnance, le juge des référés constatait que les délais excessifs de traitement et de délivrance de la demande conféraient un caractère d’urgence et d’utilité à la requête de l’automobiliste.
Enfin, en plus d’ordonner la délivrance du permis de conduire sous huit jours, le juge affirmait que l’ANTS « n’a fourni aucune autre explication sur sa carence à réparer l’erreur commise par elle et à produire matériellement le permis de conduire sollicité par M.X. »
Par conséquent, le requérant n’avait pas à réintroduire une nouvelle demande pour pallier l’erreur de l’ANTS. L’administration était donc tenue de réparer son erreur.
Ces décisions permettront peut-être d’apaiser les usagers victimes des déboires de l’ANTS et l’inviteront peut-être à se tourner vers le juge pour obtenir satisfaction.
Je suis à votre disposition pour toute action ou information (cliquez ici).
[1] Décision du défenseur des droits n°2018-226 du 3 septembre 2018 ;
[2] Juge des référés du Tribunal administratif de Grenoble, ordonnance n°1801978
[3] Juge des référés du Tribunal administratif de Paris
[4] Juge des référés du Tribunal administratif de Paris